Auteur : Herman Wasserman

La contamination à grande échelle de la sphère publique par des rumeurs, des discours haineux, de dangereuses théories du complot et des campagnes de tromperie orchestrées suscite une inquiétude généralisée dans le monde entier. Ces maux sont collectivement désignés sous le nom de « désordre de l’information ».

Ce désordre résulte d’une série de facteurs. Il s’agit notamment de l’évolution rapide des médias et d’un environnement politique de plus en plus fractionné, populiste et polarisé. Le déferlement d’informations trompeuses et fausses sur la pandémie de COVID-19 a renforcé ces problèmes.

Bien qu’il s’agisse d’un problème répandu dans les pays du Sud, l’étude du désordre de l’information est dominée par des exemples, des études de cas et des modèles provenant des pays du Nord. Cela s’applique aux connaissances disponibles sur les diverses réponses et de contre-interventions qui ont été mises en place.

Notre nouvelle étude vise à combler ce manque. Elle fournit, pour la première fois, une vue d’ensemble des organisations, des militants et des mouvements qui travaillent dans le Sud pour lutter contre le désordre de l’information. Le terme « Sud » désigne les régions situées en dehors de l’Europe et de l’Amérique du Nord, dont la plupart des pays ont de faibles revenus et sont souvent marginalisés sur le plan politique ou culturel.

L’étude est le fruit d’une collaboration entre des équipes de recherche de quatre régions : l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine, l’Asie ainsi que la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA).

Elle explore les méthodes utilisées pour relever le défi de la désinformation. Une attention particulière a été accordée à la manière dont la pandémie de COVID-19 a aggravé le problème.

Nous avons constaté qu’une série d’acteurs s’efforcent de lutter contre le problème du désordre de l’information. Il s’agit notamment d’équipes de vérificateurs de faits indépendants, de décideurs politiques ainsi que d’éducateurs. Des organisations et des mouvements dans les pays à revenus faibles et moyens se lèvent également pour combattre le problème des « fausses informations ».

Cette étude fournit des points de référence utiles sur la manière dont les organisations de la société civile du Sud luttent contre le désordre de l’information. Elle met notamment l’accent sur ce qui est fait pour soutenir une information fiable et digne de confiance.

Désordre de l’information

Le désordre de l’information est généré par la prévalence croissante de la désinformation et de la mésinformation ou l’information malveillante dans le public et sur les réseaux sociaux.

  • La désinformation est une fausse information qui est partagée, mais sans intention de nuire.
  • La mésinformation est une fausse information qui est sciemment partagée pour induire en erreur ou causer du tort.
  • On parle d’information malveillante lorsqu’une information, factuelle ou fausse, est partagée dans le but de nuire. Cela se fait souvent en publiant des informations confidentielles.

Relever les défis du désordre de l’information est particulièrement important dans les nouvelles démocraties ou lorsque les droits démocratiques sont en déclin ou sous pression. L’accès à une information de qualité est essentiel pour permettre aux citoyens de participer aux processus démocratiques.

De nombreuses démocraties du Sud sont fragiles et doivent être renforcées. En outre, l’accès aux ressources numériques est inégalement réparti et les médias indépendants sont souvent sous pression. Dans ces environnements, le désordre de l’information peut miner davantage la gouvernance démocratique et l’agence civique.

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Réagir aux informations nuisibles

L’étude a révélé différents types de réponses, similaires à celles identifiées ailleurs, au désordre de l’information dans les régions. Il s’agit notamment

  • du suivi et la vérification des faits,
  • de la législation et la réglementation,
  • des réponses en matière de production et de distribution. Il s’agit de processus algorithmiques et techniques visant à éliminer la désinformation en ligne, et
  • des réponses visant les cibles de la désinformation, des campagnes d’alphabétisation, par exemple.

Le travail effectué par les organisations de la région montre souvent une réponse à plusieurs niveaux au problème. En reliant différentes questions entre elles, les organisations montrent l’importance d’aborder le désordre de l’information comme un problème complexe nécessitant diverses réponses.

Voici quelques exemples de la manière dont les organisations de la région relient les différents impératifs :

  • Associer la vérification des faits avec des initiatives d’éducation aux médias. C’est ce que font, par exemple, Dubawa et Africa Check en Afrique subsaharienne. Les citoyens sont ainsi en mesure d’établir la véracité des informations qu’ils rencontrent. Ils peuvent alors devenir des consommateurs plus critiques et plus avisés des médias.
  • Lier la qualité de l’information au droit d’accès à l’information et aux technologies numériques, aux interventions politiques sur la cybersécurité, la surveillance et la protection des données. C’est ce que fait, entre autres, le consortium AlSur en Amérique latine.

L’hypothèse est que les citoyens ne sont pas en mesure de se doter d’informations de qualité s’ils n’ont pas un meilleur accès aux ressources numériques. De même, l’intégrité de la sphère publique est compromise si les données des personnes ne sont pas protégées ou si les gouvernements utilisent les plateformes numériques comme outils de surveillance des citoyens.

  • Lier le travail de lutte contre le désordre de l’information à la liberté des médias et au droit de protester, comme ce que fait Artigo 19 en Amérique latine. Kashif en Palestine est un exemple de lutte contre les discours de haine. Le lien entre ces questions repose sur l’idée qu’une sphère publique démocratique consiste autant à éliminer les mauvaises informations qu’à permettre aux bonnes informations de se développer.
  • Lier le désordre de l’information électorale et les droits de l’internet. C’est ce qu’a fait, par exemple, Derechos Digitales en Amérique latine. Ils utilisent des campagnes de plaidoyer sur les plateformes numériques. L’établissement d’un lien entre ces questions montre clairement que les citoyens doivent être en mesure de prendre part aux espaces en ligne, où les programmes politiques sont définis et discutés, pour que les processus politiques démocratiques tels que les élections puissent réussir.
  • Plusieurs organisations de la région complètent la vérification des faits par leur propre journalisme d’investigation. On peut citer Chequeado en Argentine et Verificado au Mexique. Certaines organisent également des ateliers sur l’éthique des médias, comme Falso en Libye, et des formations au journalisme, comme le fait Desinfox Africa en Afrique occidentale.

En associant les compétences de vérification à la formation journalistique et en inculquant des valeurs éthiques, on reconnaît que l’encouragement d’une bonne conduite éthique est essentiel pour éliminer du journalisme les informations fausses et nuisibles.

Ce qu’il faut faire

Notre étude montre pourquoi il est nécessaire d’adopter une approche globale pour lutter contre le désordre de l’information dans les pays du Sud. Pour être efficaces, les solutions doivent aller au-delà du seul contenu numérique et considérer le problème comme un problème social et politique.

Cependant, le Sud global est très divers. Des différences et des variations importantes existent entre les pays d’une même région et entre les différents groupes d’un même pays. On les trouve également entre différents contextes géographiques, économiques ou sociaux. Les recherches futures devraient donc préserver la diversité régionale, même si elles visent à établir des liens entre les pays du Sud.

Herman Wasserman est professeur d’études médiatiques au Centre d’études cinématographiques et médiatiques de l’Université du Cap. Cet article est tiré de The Conversation Africa. Lire l’article original ici.

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