Bernadette Vivuya est journaliste visuelle et cinéaste congolaise basée à Goma, dans l’est de la RDC. Son travail se concentre principalement sur les questions des droits de l’homme, de l’environnement et de l’exploitation des matières premières. Vivuya vise à montrer la résilience des populations de la région d’Afrique de l’Est touchée par de nombreux conflits.
Nous avons parlé à Vivuya de son article primé, intitulé « Alors que les efforts progressifs pour mettre fin au travail des enfants d’ici 2025 persistent, les enfants mineurs du Congo, épuisés et exploités, demandent au monde de prier pour eux ». Cet article porte sur l’exploitation des enfants au Congo qui travaillent dans les mines de niobium, de cassitérite et de coltan qui produisent des matières premières utilisées dans la fabrication de condensateurs pour les appareils électroniques. L’article souligne la pauvreté à laquelle les enfants sont confrontés au Congo, ce qui les oblige à travailler dans ces mines. Vivuya parle de la façon dont elle a géré cette histoire déchirante et de l’importance de publier des articles qui montrent les réalités des personnes vivant au Congo et dans la région de l’Afrique de l’Est.
Vous écrivez des articles sur des questions liées aux droits de l’homme, à l’environnement et à l’exploitation, pourquoi vous concentrez-vous sur ces sujets ?
Je suis basée à Goma, au Nord-Kivu. Dans cette région, les problèmes de violation des droits de l’homme, la question environnementale et l’exploitation des ressources minières sont réels, car nous les vivons au quotidien. J’ai été témoin de plusieurs cas de violations des droits de l’homme (réponse violente à des manifestations, restrictions de la liberté d’expression, travail des enfants dans les mines, dysfonctionnement des systèmes judiciaires, etc.) L’exploitation minière dans la région a des conséquences très concrètes dans ma vie, elle est l’une des causes de la guerre, de l’exploitation des enfants et de la prolifération des groupes armés. Face à ces problèmes qui gangrènent la région, des initiatives locales se mettent en place pour mettre fin à cette terrible situation. Il était donc naturel pour moi de m’intéresser à ces questions de droits de l’homme.
Pour votre article sur l’exploitation minière de cobalt au Congo et l’exploitation des enfants, comment avez-vous commencé à effectuer des recherches ou à écrire l’article ?
Je travaille sur la question de l’exploitation des ressources naturelles depuis plusieurs années. Ce que je trouve le plus intéressant, c’est le contraste : d’un côté, l’exploitation à grande échelle des matières premières, notamment des minéraux, et de l’autre, la pauvreté qui persiste dans le pays. Le secteur minier a un énorme potentiel économique, qui pourrait contribuer à la croissance du pays. Malheureusement, il est à l’origine des guerres et de plusieurs autres maux qui frappent le pays, dont la maltraitance des enfants. La RDC a mis en place des mécanismes de lutte contre le travail des enfants et est signataire de plusieurs conventions pour mettre fin au travail des enfants, notamment dans les mines. Pourtant, ce phénomène persiste. Cela m’a amené à suivre de près la question pour en comprendre les causes profondes. J’ai travaillé avec des organisations locales actives dans ce domaine, notamment les syndicats. Le problème est plus complexe que ce que l’on pourrait imaginer à première vue.
L’histoire des mines de cobalt est déchirante. Comment avez-vous réussi à écrire un article aussi approfondi, qui peut être difficile du point de vue émotionnel ?
Je suis congolaise et je vis ces réalités au quotidien. Si ce n’est pas un frère qui est touché, c’est un cousin ou une sœur qui est exploitée. Bien sûr, tout cela est choquant. Mais c’est le quotidien de beaucoup de gens autour de moi, et je ne veux pas me résigner à cette triste situation. Je n’ai pas le pouvoir de tout changer moi-même, mais je pense qu’en effectuant mon travail, en exposant cette situation, je peux avoir un impact. Mon devoir est plus fort même si mes émotions sont fortes, même si, évidemment, observer tout cela est difficile.
En tant que journaliste et réalisatrice multimédia, vous utilisez beaucoup d’images. Comment avez-vous fait pour raconter cette histoire par l’image ?
Il n’est pas toujours facile de filmer ou de photographier des gens pour un sujet particulier. J’essaie toujours de leur expliquer ce que je fais, et pourquoi je le fais, pour être acceptée. Il est important d’être conscient du pouvoir des images, qui nous donnent un aperçu de la personne que nous photographions ou filmons. Lorsque je raconte une histoire en images, je veille à rester fidèle à la réalité.
Les images sont toujours manipulées à des fins commerciales ou simplement sous la pression de l’actualité, des nouvelles de dernière minute. Cela a conduit à une image stéréotypée du peuple congolais et du pays : un pays déchiré par la guerre et la violence. Le Congo résilient a été et est encore peu connu du monde. Lorsque je travaille, je cherche à donner une image plus complexe du pays et de la région, une image qui représente mieux le Congo et son peuple. Cela m’a poussé à me tourner davantage vers les citoyens ordinaires, la force locale qui fait bouger les choses pour améliorer la situation.
Dans votre carrière, quels ont été les points forts, les reportages sur lesquels vous avez aimé travailler et les inconvénients de vos expériences ?
Si je ne devais citer que quelques exemples de travaux qui ont eu un impact sur moi, je parlerais de mon article sur le travail des enfants dans les mines et de mon film Lettre à mon enfant victime d’un viol.
Ces deux projets m’ont permis d’aborder des sujets extrêmement sensibles dans la région où je vis. Avec l’article sur le travail des enfants, j’ai pu comprendre à quel point il est compliqué de mettre fin à ce fléau. J’ai compris que ce problème ne sera pas résolu par des solutions simples et des engagements faibles, comme une simple interdiction du travail des enfants, par exemple, mais en s’attaquant aux causes profondes, à savoir la grande pauvreté des familles. Je suis aussi très fière du court métrage Lettre à mon enfant après un viol que j’ai réalisé pour montrer la résilience des femmes face à la violence sexuelle.
Le film, basé sur la lettre d’une mère à son enfant né après avoir été violée, montre comment la résilience d’une femme peut être une force pour la reconstruction de la communauté.
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