Auteur : Moussa Ngom

Depuis le 19 novembre, plusieurs médias internationaux ont publié une série d’enquêtes sous le nom de « Congo Hold-Up ». À l’origine de ce qui est présenté comme la plus grande fuite de données du continent, on trouve le média français Mediapart et l’ONG Plateforme africaine pour la protection des lanceurs d’alerte.

Précisément, comment devient-on un lanceur d’alerte ? Comment les médias africains peuvent-ils en tirer parti ?

Selon Amnesty International, un lanceur d’alerte est une personne qui, dans le cadre de son travail, révèle ou signale un comportement illégal ou dangereux qui constitue une menace pour l’homme, l’économie, la société, l’État, la communauté ou l’environnement.

Amadou (ce n’est pas son vrai nom) est un lanceur d’alerte malien qui vit aujourd’hui en exil. Il s’est réfugié dans un autre pays d’Afrique de l’Ouest en raison des menaces qu’il a reçues à la suite de ses révélations sur l’exploitation forestière illégale.

« Frustré de voir ce trafic continuer, je me suis résolu à contacter les médias, c’était vraiment la [seule] solution à trouver », explique Amadou qui a également exilé sa famille à cause des risques. « Malheureusement, tous les acteurs savaient que j’étais derrière tout ça et le moment où j’ai commencé à m’inquiéter, c’est quand des inconnus ont commencé à rôder autour de ma maison », raconte le lanceur d’alerte qui avait également alerté les autorités gouvernementales de son pays, en vain.

Pape Adama Touré, le coordinateur régional de la Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Pplaaf), dont le siège est à Dakar, affirme que « dans des cas comme celui d’Amadou, la plateforme offre un abri sûr, des lignes téléphoniques sécurisées et, si nécessaire, nous essayons de les mettre dans les meilleures conditions, car ils perdent souvent leur emploi ».

Selon Amadou, Pplaaf l’a beaucoup soutenu, notamment dans son « projet de dépôt de plainte ».

Créée en 2017, la Pplaaf regroupe de nombreux avocats de plusieurs pays, des associations d’avocats et des organisations non gouvernementales. Elle est « formée pour apporter un soutien juridique avant, pendant et après le lancement de l’alerte », indique l’organisation sur son site internet.

La dénonciation n’est pas chose aisée sur le continent. Outre les abus possibles de groupes privés, les dénonciations relatives à des affaires d’État peuvent également être périlleuses pour leurs auteurs.

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Selon Ass Momar Lo, journaliste d’investigation, « les alertes ne sont pas fréquentes en raison des risques inhérents à la divulgation de certaines informations confidentielles, même si elles sont d’intérêt public ». « Parmi ces risques, je peux citer l’emprisonnement à vie, de la torture, des abus en prison (certains évoqueront le cas de Julian Assange) ou des disparitions forcées », ajoute-t-il.

« Il y a plusieurs sanctions et cela dépend des pays. Souvent ce sont les sanctions par rapport au droit de réserve, ça peut être aussi des punitions et parfois même, le dénonciateur peut être traîné en justice », explique Fatou Jagne Senghor, avocate et directrice de l’ONG Article 19.

Elle ajoute que « peu de pays disposent de lois spécifiques sur les lanceurs d’alerte ».

Ils sont en effet moins de dix en Afrique à disposer d’une loi pour protéger les lanceurs d’alerte.

Dans ces conditions, la presse est l’un des principaux atouts sur lesquels les lanceurs d’alerte peuvent compter. Mais elle peut aussi tirer profit de leurs révélations.

« Le premier avantage pour la presse est qu’elle trouve dans ces données des éléments à enquêter pour mieux informer le public. Au moins, le lanceur d’alerte donne à la presse la possibilité d’aller plus loin en posant un débat ou en donnant la parole ici et là afin d’en savoir plus. Tout comme la Pplaaf, les médias vont également jouer ce rôle de filtre qui consiste à s’assurer de la véracité des faits dénoncés et à évaluer la bonne foi du lanceur d’alerte », explique le coordinateur régional de la Pplaaf.

Il ajoute que « dans certains cas, la couverture médiatique peut faire pression sur les autorités et souvent mobiliser des soutiens, voire collecter des fonds pour assurer la sécurité et la défense des lanceurs d’alerte. »

Ass Momar Lo, qui avoue ne pas connaître la Pplaaf, estime que « le plus difficile dans le contexte sénégalais n’est pas d’enquêter, mais de vendre son enquête, de faire en sorte qu’elle suscite un réel intérêt de la part du public, même si le sujet est très important. Par exemple, l’enquête de la BBC sur les contrats pétroliers qui auraient nommé Aliou Sall n’a suscité un réel intérêt que lorsque les médias britanniques l’ont couverte. »

Peut-être une explication au fait que de nombreuses alertes ont été traitées principalement par des médias d’investigation occidentaux.

Pape Ada Touré rassure néanmoins que la collaboration avec les médias africains est « assez bonne » et que depuis 2020, trois « ateliers des médias » ont été organisés pour mieux familiariser les journalistes « avec les problématiques et l’actualité des lanceurs d’alerte ».

Le but de ces ateliers est de créer un réseau de journalistes africains qui peuvent être sollicités sur certaines questions, pour effectuer un travail collaboratif d’analyse et d’investigation, le tout dans « une grande vigilance pour ne pas mettre en danger le lanceur d’alerte », ajoute-t-il, car le sort d’Amadou pourrait décourager de nombreux lanceurs d’alerte sur le continent.

Ce reportage a été soutenu par une micro-subvention de Jamlab Africa.

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