Auteur : Moussa Ngom
Moussa Ngom, le fondateur de La Maison des Reporters, un organisme sénégalais de médias en ligne, raconte comment son expérience des médias l’a aidé à créer un réseau de journalistes dédiés au journalisme d’investigation avec l’aide du public.
Tout a commencé par une expérience à Télévision Futurs Médias, la première chaîne de télévision du Sénégal. Nous étions en formation. Très vite, je me suis retrouvé en charge des « dossiers », de longs reportages qui devaient être intégrés au journal de 20 h.
L’enthousiasme du début s’effrite, car les difficultés sont nombreuses. Il n’y a pas assez de temps pour écrire des articles, la rédaction manque de personnel, les journalistes sont constamment sous pression pour produire un article par jour, et parfois, nous recevons des interférences de la hiérarchie dans la gestion de sujets sensibles.
De séminaires en conférences de presse, les journalistes n’ont jamais le temps d’approfondir leurs sujets ou de perfectionner leur pratique journalistique.
Les patrons des organes de presse sont attachés aux programmes de divertissement qui, au moins, rapportent des recettes publicitaires dans un paysage médiatique fortement marqué par la précarité. En dehors de la question de l’investissement dans le journalisme lent, on comprend aisément pourquoi dans la quasi-totalité des chaînes de télévision au Sénégal, il n’y a pas de plage horaire consacrée aux enquêtes. Elles sont trop coûteuses et « sans bénéfices » selon de nombreux responsables de programmes.
Cette formation a été l’étape la plus décisive de ma carrière. Outre le partage d’expériences avec des collègues, notamment des jeunes, il m’a permis de découvrir les problèmes structurels de la presse au Sénégal.
Deux ans plus tard naissait La Maison des Reporters (LMDR), un groupe de presse dédié aux enquêtes et aux reportages collaboratifs en réponse aux besoins des organes de presse locaux.
L’objectif de ce nouveau média était de donner aux journalistes le temps, la liberté et les moyens de réaliser leurs reportages. C’était tout ce qui m’avait manqué et tout ce que mes collègues avaient décrié.
Aujourd’hui, 113 journalistes et techniciens basés dans toutes les régions du Sénégal font partie de notre grand réseau. Grâce à notre base de données de professionnels, nous mettons en relation des journalistes professionnels, afin qu’ils puissent nouer des liens, mais ils peuvent aussi nous proposer leurs sujets avec l’assurance de disposer des conditions nécessaires à un travail de qualité.
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Dans un environnement où la majorité des journalistes n’ont pas reçu de formation adéquate avant d’entrer dans la profession, la LMDR tient à encadrer les jeunes journalistes.
C’est la raison d’être des mentors ; des journalistes spécialisés ayant plusieurs années d’expérience professionnelle qui accompagnent leurs cadets de la conception de leur projet d’enquête à sa finalisation.
« Cela m’a permis d’avoir un réseau de journalistes avec lesquels je peux échanger en permanence sur des questions diverses et cet échange permanent et virtuel est très avantageux pour nous, jeunes reporters, qui n’avons pas eu la chance de côtoyer les grands reporters à l’intérieur du pays », a déclaré Mamadou Lamine Diallo, journaliste à Ziguinchor, dans le sud du Sénégal.
« Avec La Maison des Reporters, j’ai compris que l’information n’est pas un sprint, mais une véritable course de fond. Il faut être endurant, patient et méticuleux pour trouver et relayer la bonne information », explique Souleymane Diassy, jeune journaliste et auteur de plusieurs enquêtes sur les industries minières de l’ouest du Sénégal.
La Maison des Reporters s’est positionnée parmi les médias sur lesquels on peut compter au Sénégal. La clé de cet accomplissement a été un superbe engagement de la part des reporters malgré des moyens financiers limités. Parce que le modèle économique est important pour la LMDR, nous proposons une information qui cherche à influencer l’opinion publique en produisant plus de faits, en toute indépendance, et soutenue par près de 400 abonnés depuis sa création.
Telle est la philosophie qui sous-tend ce modèle participatif presque sans précédent dans le pays :
- Les journalistes travaillent sans pression ni conflit d’intérêts.
- Ils ont la seule obligation de produire un journalisme de qualité.
- Ils n’ont pas d’objectifs de rentabilité ni d’actionnaires à prendre en compte dans leurs enquêtes.
- Ils ne sont redevables qu’au public.
- Pour éviter que les donateurs ne se distinguent des autres, nous avons fixé une limite de don individuel de 2 000 dollars.
Le premier cas de soutien public a eu lieu lors de nos efforts de collecte de fonds. Les dons ont été reçus en espèces.
C’était compliqué, car il fallait se déplacer pour collecter les dons et les Sénégalais de la diaspora n’avaient pas les moyens techniques d’envoyer leur contribution.
Un an plus tard, nous avons signé un accord de partenariat avec Paydunya, un système de paiement par le biais de banques mobiles.
Nous avons pu mettre en place un abonnement mensuel ainsi qu’une tarification plus souple, accessible à tous les revenus.
Mais il ne suffit pas de faire participer le public au financement, il faut être transparent, attentif et réactif.
Au Sénégal, l’information est généralement gratuite. Le public ne se rend pas compte qu’il y a d’énormes efforts financiers et humains à fournir pour obtenir un contenu de qualité. Il faut donc apprendre aux citoyens pourquoi il est important de soutenir financièrement les initiatives des médias s’ils veulent une presse libre.
Ainsi, à chaque anniversaire, nous faisons le point sur les finances, les réalisations et les perspectives d’avenir des médias.
Notre rubrique « Paroles de reporters » sur Instagram permet aux lecteurs et aux journalistes d’interagir avec les dernières productions et c’est aussi un moyen de montrer l’utilité de soutenir (financièrement) nos médias.
Mohamed Coulibaly, l’un de nos premiers donateurs, a récemment publié un tweet avec un merveilleux slogan qui résume notre idéal : « La Maison des Reporters vous informe, vous apporte la connaissance et elle rend des comptes. »
La vocation de La Maison des Reporters est aussi d’encourager des manières alternatives de concevoir la viabilité d’un organe de presse. Nous souhaitons être un exemple concret de la nécessité de s’éloigner des modèles économiques actuels qui peuvent nuire à la qualité et multiplient les conflits d’intérêts avec une ultra-dépendance à la publicité et aux subventions publiques.
Aujourd’hui, La Maison des Reporters a remporté de nombreux prix en très peu de temps, dont le deuxième prix de l’innovation dans les médias francophones, la meilleure enquête pour la catégorie santé en Afrique de l’Ouest et le meilleur article de presse en ligne au Sénégal.
Nous pouvons en être fiers, mais nos ambitions ne s’arrêteront pas là.
Cet article a été soutenu par une micro-subvention de Jamlab Africa.