Auteur: Afedzi Abdullah

Le travail des médias est étroitement lié à la coopération qu’ils reçoivent des différentes entités de la société, mais les médias sont également confrontés à d’énormes défis dans l’exercice de leurs fonctions. Dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, les journalistes sont confrontés tous les jours à des menaces, des agressions et des arrestations. Il est important de noter que les auteurs de crimes contre les journalistes ne sont pas seulement des politiciens, mais aussi des citoyens et même des agents de sécurité qui sont censés assurer l’ordre public et la protection de tous. Entre août 2020 et le 28 février 2021, la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a enregistré près de 20 agressions contre des journalistes et des professionnels des médias au Ghana, au Sénégal et au Nigeria par des agents de sécurité, car ils avaient filmé leurs activités. Cette évolution inquiétante menace la liberté de la presse et la démocratie dans la sous-région.

La situation au Ghana

Le Ghana offre un contexte relativement sûr pour la pratique du journalisme, bien que le pays entache progressivement son bilan enviable par des incidents, notamment des menaces et des agressions physiques à l’encontre de journalistes.

En tant que premier pays à accéder à l’autonomie en Afrique, le Ghana a traversé différents systèmes de gouvernance et a fait des progrès pour stabiliser le régime démocratique depuis 1992, ce qui a fait du pays un modèle de démocratie sur le continent africain. Au cœur de cet exploit historique se trouvent des médias dynamiques, dont le rôle a été indispensable au maintien de la démocratie jusqu’à aujourd’hui, et il convient donc d’assurer qu’ils travaillent dans un environnement sûr.

Le Ghana était classé au 22e rang dans le monde pour la liberté de la presse en 2015 (Reporters sans frontières, 2015). À la fin de l’année 2016, le statut de la liberté des médias au Ghana s’est détérioré pour atteindre le 26e rang pour le même indice. En 2020, le Ghana occupait la 30e place du classement mondial pour la liberté de la presse, perdant trois places par rapport à 2019.

Récemment, des inquiétudes ont été soulevées au Ghana concernant la vague d’agressions et d’intimidations à l’encontre des professionnels des médias, et cela semble entraver l’indépendance, la croissance et le développement des médias.

Plusieurs brutalités se sont produites dans le passé. En 2019, Hajia Fati, une partisane du parti au pouvoir, le National Patriotic Party (NPP), a agressé une journaliste du Ghanaian Times, alors que celle-ci était dans l’exercice de ses fonctions. Il y a deux ans, un reporter de télévision, Godfred Tanam, a été agressé par des voyous du parti au pouvoir alors qu’il était en mission officielle. En 2018, deux journalistes, Latif Iddris et Kwesi Parker, ont été agressés par des policiers lors d’événements distincts alors qu’ils exerçaient leurs fonctions.

Le 15 janvier 2021, un groupe de gardes privés a agressé une équipe de journalistes de LUV FM, basée à Kumasi, sur un site minier présumé illégal à Manso, dans la région Ashanti du Ghana, riche en minéraux. Sur ordre de l’exploitant du site, des militaires soupçonnés d’avoir été engagés à titre privé par le mineur ont saisi la caméra et les téléphones personnels des journalistes et ont effacé tous les enregistrements. Ce ne sont là que quelques exemples de ces brutalités à l’encontre des journalistes qui perdurent et s’intensifient, menaçant ainsi la liberté des médias et d’expression.

Lors de conversations avec de nombreux journalistes ghanéens, certains ont exprimé leur crainte de faire des reportages sur certains sujets et groupes. D’autres disent qu’ils ont négligé certains sujets parce qu’ils se sont vu refuser des informations lorsqu’ils ont sollicité des organismes publics.

« Je n’ai été victime d’aucune brutalité, mais je connais certaines victimes et j’ai lu les témoignages d’autres personnes, ce qui me fait penser qu’il y a beaucoup à faire pour préserver la sécurité des journalistes », a déclaré un journaliste de la New Times Corporation.

Il a exprimé sa déception quant au fait que, malgré les brutalités, personne n’a été poursuivi. « Un rapport publié en 2019 par le Daily Graphic [journal] a révélé que les attaques contre des journalistes par des militaires et d’autres membres du personnel de sécurité sur une période d’environ quatre ans n’avaient fait l’objet d’aucune poursuite. Cela fait peur et menace le journalisme critique », a-t-il déclaré, frustré.

« Je suis conscient que le gouvernement a mis en place un bureau pour le mécanisme coordonné de la sécurité des journalistes. Tant que nous ne verrons pas un changement dans la façon dont les attaques contre les journalistes sont traitées, cela ne sera qu’un élément de plus sur la liste de contrôle pour marquer des points dans l’indice de la liberté des médias », a-t-il ajouté.

Selon lui, bien que les journalistes aient la responsabilité d’être factuels et éthiques dans l’exercice de leurs fonctions, leur sécurité est primordiale, même s’ils commettent des erreurs, car le pays est régi par l’État de droit qui offre aux personnes lésées des voies de recours, notamment la Commission nationale des médias et les tribunaux.

La situation au Nigeria

Se présenter en tant que journaliste au Nigeria, notamment aux personnes au pouvoir, a le don de changer instantanément l’atmosphère d’un lieu, d’autant plus si vous êtes un journaliste qui a l’habitude d’être critique dans ses reportages. Les journalistes sont souvent attaqués pour avoir effectué leur travail avec diligence ou sont même perçus comme pouvant causer du tort avec leurs reportages.

Journaliste spécialisé dans le changement social et présentateur d’une émission de radio sociopolitique très écoutée dans le sud-est du Nigeria, George Natural Onuorah dit avoir été menacé de mort à plusieurs reprises de la part d’auditeurs mécontents parce qu’il a eu la témérité de traiter un sujet sans parti pris, ou faire face aux agents de sécurité qui sont sur les dents lorsqu’il se présente comme journaliste. Les journalistes doivent faire face aux politiques gouvernementales visant clairement à étouffer la liberté de la presse, et tout cela rend le travail plutôt pénible.

« À la suite des affrontements qui ont eu lieu à Orlu, dans l’État d’Imo, entre les agents du Réseau de sécurité de l’Est du mouvement interdit des Peuples indigènes du Biafra (IPOB) et les forces de sécurité nigérianes (police et armée), j’ai décidé d’enquêter et de faire un reportage. En arrivant au point chaud où plusieurs personnes et agents de sécurité auraient perdu la vie, nous avons dû passer par plusieurs points de contrôle de sécurité où nous avons été harcelés par les policiers. Bien que nous étions dans un véhicule de fonction, que nous nous sommes identifiés et que nous ayons donné la raison de notre présence, l’un d’entre eux nous a accusés, nous les journalistes, d’être le problème du pays et a menacé de “s’occuper” de nous. Tout cela sans aucune provocation. Un autre officier auquel j’ai parlé a insisté pour percevoir des pots-de-vin de notre part avant de nous laisser partir. Un troisième officier nous a laissé partir après avoir découvert que je venais d’un village voisin du sien. En arrivant au poste de commande de la police de la zone d’Orlu, où les soldats campaient, nous avons rencontré la même hostilité de la part des forces de sécurité qui nous ont ordonné de partir », a raconté Onuorah.

Plusieurs journalistes ont été victimes de violences et leurs caméras ont été saisies par les forces de sécurité soucieuses d’étouffer la couverture de leurs brutalités à l’encontre des manifestants, notamment lors des manifestations #EndSARS de 2020. Malheureusement, à la suite des manifestations #EndSARS, certains journalistes ont payé le sacrifice suprême, comme c’est le cas pour les reportages sur de tels événements au Nigeria. 

Le 29 octobre 2020, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a signalé que 12 journalistes et cinq médias avaient été attaqués lors des manifestations #EndSARS qui ont éclaté à travers le pays et des violences qui en ont découlé. « C’est une ironie tragique que des journalistes aient été attaqués à plusieurs reprises, y compris par des membres en uniforme des forces de sécurité du Nigeria, alors qu’ils rendaient compte des manifestations contre la brutalité policière », a déploré le CPJ.

Selon les données documentées par ARTICLE 19, pour la période de janvier à octobre 2020, une augmentation significative des agressions, des arrestations et des poursuites à l’encontre des médias a été enregistrée au Nigeria par rapport à 2019, avec plus de 60 journalistes touchés dans 51 incidents. 

« Malheureusement, peu de choses sont faites pour garantir aux journalistes des espaces sûrs où faire leurs reportages, ce qui est pour le moins décourageant », déplore un journaliste nigérian. 

Il affirme qu’en fait, un certain nombre de journalistes ont fui le pays par crainte pour leur sécurité. 

Ceci, a-t-il dit, est également facilité par le fait que la profession de journaliste est l’une des plus mal rémunérées du pays, compte tenu des risques encourus. En outre, certains journalistes doivent réclamer leur salaire pendant des mois à leur employeur, ce qui est inacceptable.

La situation au Sénégal

Selon Fatou laye Mbaye, une journaliste indépendante de Zik FM et Sen TV, les journalistes au Sénégal travaillent généralement en toute sécurité et liberté. Pour elle, ils ne sont ni opprimés ni intimidés. Cependant, elle admet qu’il y a eu quelques cas de violence contre des journalistes. Ces cas de violence contre les journalistes, dit-elle, montrent qu’il y a encore beaucoup à faire et qu’il y a toujours des gens qui ne reconnaissent pas le travail d’un journaliste.

Selon un communiqué du bureau local de la Convention des jeunes reporters du Sénégal (CJRS) et de l’Association de l’information et de la communication (APIC), six journalistes ont été menacés et agressés physiquement à la gare routière de Ziguinchor, le mercredi 1er septembre 2021, alors qu’ils tentaient de faire un reportage sur une éventuelle augmentation des tarifs de transport. Selon le communiqué, deux des journalistes ont été agressés physiquement et la caméra du correspondant de la chaîne SEN TV a été endommagée.

Selon Mohamed Tidiane Ndiaye le Président de l’APIC et Point Focal SUD CJRS, le contexte sensible en Casamance des perspectives électorales entraine des attaques verbales et physiques contre les journalistes.

Le reportage a bénéficié d’une microsubvention de Jamlab.

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