Auteur : Moussa Ngom
Le titre de son article : « Course d’obstacles pour l’information ». À l’origine, la journaliste Pie Delores Nesmon voulait travailler à la gestion d’un fonds de subventions pour les ménages touchés par la pandémie de COVID-19, mais son article décrit finalement la longue histoire d’une difficile quête de réponses auprès de l’autorité publique chargée de distribuer les subventions.
« Après un long silence de la part de ces institutions, j’ai saisi la Commission d’accès à l’information d’intérêt et documents publics (CAIDP). Grâce à son aide, j’ai pu avoir accès à ces ministères. Même si un rendez-vous ne m’a pas été accordé, j’ai finalement pu envoyer un questionnaire et j’ai obtenu des réponses », raconte Nesmon.
La CAIDP existe depuis l’adoption de la loi ivoirienne d’accès à l’information en 2013. À l’époque, seuls 11 pays africains disposaient d’une loi d’accès à l’information, dont deux lois en Afrique du Sud. Depuis, une dizaine de pays de la région ont adopté un tel système, emboîtant le pas à la Côte d’Ivoire.
Alors que le droit ivoirien ne conférait au citoyen « aucun droit de réclamer la communication d’un document public », désormais toute personne qui souhaite accéder aux informations et documents publics « adresse une demande écrite à l’organisme concerné dans laquelle il décline son identité et ses fonctions. », explique Souleymane Bamba, directrice des affaires juridiques et du contentieux de la CAIDP.
Un détail important, car la loi accorde une plus grande importance aux demandes des journalistes en termes de délai de réponse.
« Les demandes des chercheurs et des journalistes professionnels sont traitées en quinze jours, par rapport à trente jours pour les citoyens ordinaires », explique la directrice juridique de la CAIDP.
La commission a le pouvoir d’imposer « des amendes ou des pénalités », mais elle préfère ne pas recourir à des sanctions. Bamba explique qu’elle a préféré « privilégier une méthode pédagogique qui consiste, dans les cas où les organismes publics en question n’ont pas été formés aux dispositions légales relatives à l’accès à l’information, à leur expliquer quel dispositif en leur rappelant les obligations que la loi leur impose. » « Dans la quasi-totalité des cas qui nous sont parvenus, les organismes publics se sont mis en conformité », affirme la directrice juridique.
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Mais malgré la grande ambition de la loi, certains journalistes interrogés ne semblent pas encore totalement convaincus. Selon Nesmon, la loi lui a déjà été inutile par le passé. Elle se plaint que certains organismes publics sont parfois réticents à fournir aux journalistes les informations nécessaires à leur travail :
« L’institution peut de plein droit refuser de fournir l’information au motif que cette information serait classée top secret. Cela montre une limite de cette loi puisque toute institution pourrait se prévaloir du secret pour refuser de mettre certaines informations à la disposition du journaliste. »
Noel Konan, un journaliste d’investigation, se plaint de l’inefficacité des « responsables de l’information » au sein des organismes publics, qui sont chargés de collecter et de faire preuve de diligence auprès des fonctionnaires afin que les informations soient disponibles pour le demandeur.
« Certaines administrations ne l’ont pas encore », selon Konan, et « même là où cela existe, elles n’ont pas la compétence : lorsque nous allons demander une information, le responsable ne peut pas de sa propre initiative rendre cette information disponible. Il doit d’abord se référer à la hiérarchie et imaginez ce que cela crée en termes de lourdeur administrative, pas de rapidité. »
Mais la directrice juridique de la CAIDP explique que les fonctionnaires sont souvent tiraillés entre leur obligation de réserve professionnelle et les besoins d’information du public : « Nous constatons donc que le fonctionnaire est pris entre deux textes et la mission de la CAIDP consiste précisément à lever ces ambiguïtés. »
Bamba, qui déplore le manque de précision des demandes des journalistes, regrette également que les journalistes n’utilisent la loi sur l’accès à l’information que de « manière épisodique », raison pour laquelle a été créé depuis un prix CAIDP qui récompense les journalistes le 28 septembre de chaque année, à l’occasion de la Journée internationale pour l’accès universel à l’information.
Mais il existe un autre défi selon Konan : un retard dans le développement des données ouvertes ou open data afin de répondre aux les demandes d’information. « Beaucoup d’administrations ont un site internet, mais elles n’y fournissent aucune information », déplore le journaliste d’investigation. Une demande prise en compte par la commission qui, depuis 2020, a institué un prix CAIDP du meilleur organisme public pour l’accès à l’information afin de récompenser les organismes qui se sont distingués par « la quantité et la pertinence » des contenus mis en ligne sur leur site. La commission espère pouvoir compter également sur les actions de sensibilisation du réseau des journalistes ivoiriens dédiés à l’accès à l’information.
Le reportage de cet article a été soutenu par une micro-subvention de Jamlab Africa.